Physiologie et physique

Il était une fois

Le duc de Windsor était un homme sanguin, batailleur, passionné. Il s’était fait maître dans le métier de la guerre et confiait volontiers les administrations de ses terres à d’autres pour s’y plonger généreusement, le visage le premier dans une mare de sang et de boue. Très rapidement bridé par l’audace et la détermination paisible de son épouse, fille du roi du Devonshire, le seigneur eut peine à se poser un temps pour donner une descendance à son nom. Naquit alors deux héritiers qui périrent d’une maladie sévère. Le sort si cruel fut-il brisa la douce symbiose qui s’était installé dans le lit royal et le guerrier disparut dans la brume poussiéreuse de la campagne. Son altesse attendait un troisième enfant.

Bataille sur bataille, le prince consort jura de revenir voir sa douce avant la naissance et prêta sa parole, assurance qu'il ne pourrait revenir sur ses mots. Son épouse, consolée par les lettres qu'il lui envoyait régulièrement en gage de vie, sentit les premières vigueurs d’entre des tripes. Le fruit de ses entrailles. La chair de sa chair. Ce serait un garçon. Une obligation pour conserver l’union fragile qui liait les époux. Elle chassa cependant le médecin qui lui annonçait la féminité de son enfant. Puis le fit exécuter après une douloureuse réflexion. Personne ne devait savoir. Elle exigeait d’annoncer elle-même le sexe du troisième né. Le duc de Windsor tint promesse et les bannières du royaume flottèrent dans le ciel de la citée pendant qu’elle attendait le cortège au pied de la forteresse.

Lorsque naquit l’héritière, la jeune mère commanda un très petit comité et garda silence sur ce que tout le monde ignorait. Longue discussion s’en suivit avec le père qui, quelques jours suivant la naissance de Eve, regagna ses inlassables croisades contre les Saxons. La proximité entre mère et fille devint alors rapidement insoutenable. Eve ne croisait plus sa génitrice que lorsque les écho de ses caprice arrivaient à ses oreilles. Les repas étaient décalés. L’éducation très stricte. Elle apprit à être attentionnée, sage, polie, silencieuse, cultivée, soumise. On l’envoya alors chez son oncle qui lui-même avait des filiations avec l’évêque de Cornouailles à Camelot. Le père signa la tutelle du seigneur et y largua sa jeune fille qui fêtait ses sept ans.

Sous la parenté très surveillée de son protecteur jésuite, Eve se voila le visage, abandonna ses robes ornées d’étoiles et de couleurs et ouvrit le vieux coffre de la chapelle pour y pêcher de gros tissus sombres. Par ordre de son tuteur, on s’appliqua à cacher sa beauté naissante et à lui apprendre la Testament par cœur. Elle récitait alors religieusement ses versées pendant qu’un moine lui enseignait Ave Maria à l'orgue de la cathédrale. Eve avait droit à être visitée par sa mère, ses cousines, ses tante, ses oncles, son père peut-être. Elle devait se présenter accompagnée aux banquets de Camelot et à ne répondre que brièvement si le roi, si la reine, si un noble de Bretagne devraient lui adresser un mot. Eve renonça à ses rêves de petite fille pour suivre le chemin qu'on lui indiquait. Vit ses formes la compresser dans ses vêtements de poupon. La transformation faisait tant peur qu’on lui refusait de plus en plus de liberté. Elle s'isola dans ses appartements, ne devait pas sortir du château sans escorte et était refusée ailleurs que dans la maison de Dieu. Le seigneur ecclésiastique ne lui rendit plus que rarement visite, écourta ses entretiens avec elle et préférait lui envoyer ses ordonnances par d’autres messagers.
Eve grandit mais ne sait rien du monde. Elle ne connait ni passion, ni colère. Elle ignore les sentiments qui font vivre et est protégée de toute la perversion de l'exterieur. Eve a peur des gens, des chevaux, de la boue qui tâche ses vêtements, des chevalières de son tuteur qui lui marquent son joli visage quand elle ose prendre la parole. Elle gagne à rester muette, dans ses fantasmes d’adolescente et à laisser le monde avancer sans elle, en attendant d'être livré à un couvent ou d'être donné au premier noble qui fera l'affaire de son père.