L’aube avait percé les volets de sa chambre que Eve était déjà levée. Matinale et préoccupée par le courrier qu’elle enverrait ce matin-là au seigneur, l’Evêque de Cornouailles. Homme de gout et d’éducation, elle ignorait à qui confier la tâche. Le papier était du plus blanc qu’elle put trouver. L’encre la plus fluide qu’on puisse faire. Seule sa main, tremblante comme une feuille pour une mission aussi anodine qu’était la rédaction, n’avait pas toute sa confiance. Marianne lui peignait longuement les cheveux pendant que son altesse s’était installée à sa coiffeuse. Elle réfléchit un instant.

« Vous commenceriez cette lettre par quoi ? » Elle leva les yeux sur le reflet de la femme de chambre qui n’osait pas répondre immédiatement. Puis après le silence de l’aurore, elle ouvrit la bouche et hésita un peu.
« Mon très généreux seigneur ? »

Eve hésite. Et nota. Mon très bon seigneur, votre présence manque à vote servante … La suite glissa avec plus de facilité. Elle écrivait, raturait. Faisait danser la plume puis soulevait son petit menton pour réfléchir. Marianne terminait de soigner la coiffure de sa maitresse pour aller sortir des tenues. L’adolescente lui intima de revenir plus tard. Elle l’appellerait quand elle terminera. On salua et la porte claqua. Eve rougit de honte d’avoir viré ainsi l’aimable dame qui devait avoir encore du travail. La culpabilité fut telle qu’elle dû abandonner son atelier d’écriture pour fouiller l’armoire. Votre servante et pupille. Des robes, on lui en faisait parvenir des dizaines chaque mois. Des perlées, des noires, des colorées, des brillantes, des grosses, des drapées, des ornées. Pleins de plis partout, avec des monticules de couches de tissus. Sa poitrine s’y faisait compresser. Ses hanches étaient écrasées. Elle ne marchait plus qu’avec sa volonté seule, ses muscles fermement tenus par les ceintures de maintiens. Ces corsages étaient la pire des inventions. Une lubie créée par l’homme pour l’homme.

Eve sortit trois ensembles. Deux capes de soie. Des manteaux en fourrure. Trop compliqués à mettre seule. Il fallait être au moins deux. Elle hésitait à rappeler Marianne mais elle eut trop peur de tomber sur la moue désobligeante de celle-ci. Elle se contenta gentiment d’essayer d’enfiler la parure la moins épaisse. Elle glissa dans ses jupons et se battit trente secondes avec le haut. Elle avait une gorge très menue. Rien qui ne pût être inconfortable ou exceptionnellement indiscret. Avant de fermer, elle s’observa devant le miroir. Mesura son bassin et se compressa les seins dans ses mains. Se pencha et tenta de se trouver un défaut ou une qualité. Eve pensait alors qu’elle était incroyablement banale. Aucune particularité si ce n’était ses long cheveux roux qu’on lui blâmait. Un jour, elle se les couperait.

Eve sursauta. On venait de frapper à sa porte. Son exclamation étranglée s’entendit et elle eut honte. Pendant qu’elle tentait avec la précipitation paniquée de l’enfant pris sur le fait de serrer le laçage de son corset, elle se rappela des vêtements en pagaille sur son lit. Elle récupéra un grand drap et le posa au-dessus de son désordre. Réarrangea quelques mèches de cheveux. Ses jupes étaient tordues, son haut bancal. Sa coiffure se rebellait déjà violemment.

En ouvrant, Eve hoqueta. Elle aurait aimé fermer aussitôt et verrouiller la porte. Surprise et crainte, elle se força à reprendre des couleurs et à sourire. Samantha était d’un langage grossier. Ne vouvoyait pas, n’était pas poli, ne laissait pas le choix. Elle s’imposait à Eve comme une tique s’impose à son hôte. Si Samantha était admirable de loin, elle n’était pas du genre qu’Eve aurait voulu fréquenter. Se réarrangeant discrètement le lacet, elle jeta un coup d’œil dans le couloir. Pas de domestique.

« … Je. Je vais bien. Et … Plait-il ? » Elle balbutia l’incompréhension et se rappela que Samantha était un chat errant. « Oh, je suis profondément navrée mais. Je suis très occupée ce matin. Et je ne suis pas prête. Voyez, je ne suis même pas habillée. Peut-être une très prochaine fois, votre Altesse. »